Introduction¨Conclusion
Annexe
1. Liste des films présentés à Lausanne en 1930
2. Liste des
films présentés à Lausanne en 1935
Liste des sources : revues et journaux
francophones
Lfexploitation
et la réception des films à Lausanne
(Suisse) au
moment du passage du muet au parlant
Une
histoire de la naissance des sous-titres (v.o.)
et du
doublage (v.f.)
Rié KITADA
Introduction
@Dans cet
essai, je me concentrerai sur la question de lfexploitation des films tels que les
spectateurs la connaissaient dans les salles de cinéma au moment du passage du
muet au parlant. Je ne traiterai pas de lfaspect technologique de ce
phénomène, ni de son versant politique, comme le rôle de lfÉtat concernant les
importations de films ou la censure, par exemple. Il
sfagit dfune recherche sur le cas de Lausanne, basée sur la presse francophone
de lfépoque, qui me permettra dfanalyser les différents modes de présentation
des films parlants dans les salles et les diverses stratégies publicitaires
mises en œuvre par les exploitants dans la
presse quotidienne.
Les
questions soulevées par cette transformation offrent un
intérêt particulier dans le cas de Lausanne, car cette ville fait partie dfun
pays multilingue, où lfon présente alors des films selon diverses
stratégies : avec les g intertitres h du muet, des
g sous-titres h, un g résumé h ou
en version doublée. En construisant une histoire locale du
cinéma à Lausanne, cette étude essaiera dféclairer et de mettre au point des
modes de présentation encore peu étudiés.
Au début des années trente, les pays européens produisent des films
parlants qui recourent à
la langue nationale. Ils dépendent cependant des États-Unis et de lfAllemagne
qui exercent alors un monopole sur les principaux procédés de reproduction du
son. Pour atteindre les différents publics, de nombreux films sont alors
tournés en g versions multiples h, en général, dfaprès le même
scénario, dans le même studio avec les mêmes décors, les acteurs et le metteur
en scène, étant tantôt différents, tantôt identiques, selon leurs capacités
linguistiques. Durant cette même période, la France, lfAngleterre et
lfAllemagne renforceront leur politique de g contingentement h en vue
de protéger la production nationale.
La Suisse, quant à elle, est un pays de faible production, avec une
dizaine de films par an. Ainsi, dans 19-39, Roland Cosandey, historien
du cinéma, affirme : g le marché suisse est entièrement alimenté par
lfimportation qui ne rencontre aucun obstacle protectionniste h[1].
La Suisse étant un pays dans lequel les ressortissants recourent à lfallemand,
au français ou à lfitalien, le problème de la diversité des langues se pose de
manière particulièrement aiguë.
Dans les années trente, la répartition des habitants en Suisse selon la langue
maternelle est de 71,9% dfallemands, 20,4% de français, 6,0% dfitaliens, 1,1%
de romanches et 0,6% dfautres[2].
Quant aux habitants lausannois, 77,3% parlent le français, 14,6% lfallemand,
4,3% lfitalien et 3,8% dfautres langues[3].
Dans cet essai, on se penchera notamment sur la présence des 15% de
germanophones à Lausanne.
Ainsi, chaque pays fait
de grands efforts pour maintenir sa propre production et pour régler le
problème des langues, celles-ci étant considérées comme une barrière pour la
diffusion des films à lfétranger. Au plan local, chaque salle élaborera de
nouvelles stratégies pour attirer les spectateurs. Le présent article mettra en
relief des questions soulevées au moment du passage du muet au parlant en se
concentrant sur lfhistoire du cinéma à Lausanne.
1. Présentation
des films étrangers en Suisse
Dès
lfinvention du cinéma, la Suisse est un pays avant tout dfimportation. Citons
un article intitulé g la Suisse comme marché cinématographique h de Schweizer
Cinéma Suisse, daté du 15 septembre 1924 :
Loin de vouloir dire que
la Suisse est un pays où la censure exerce une surveillance étroite, car il
doit être admis que ce pays possède les idées les plus larges et les plus
libérales en ce qui concerne le choix des programmes que présentent les
exploitants à leur public, et on y est prêt à recevoir nfimporte quel bon type
de film, peu importe le pays dforigine dfoù il vient, lfon doit considérer la
Suisse comme un pays essentiellement consommateur et non producteur.[4]
Elle demeure
dans même situation durant le passage du muet au parlant, car au contraire de
ses voisins, elle nfadopte aucune mesure de g contingentement h.
Ainsi Schweizer Cinéma Suisse de mars 1936 nous lfapprend dans lfarticle
intitulé g le contingentement dans quelques pays étrangers h :
Chaque pays renforçant
volontiers sa protection douanière au profit de ses propres produits, nous
avons pu assister, dans le monde entier, à la floraison dfinnombrables lois de contingentement
en matière dfimportations de films, lois qui ont pour but de protéger les
œuvres nationales contre les films étrangers.(...)
La Suisse nfa encore point élaboré de
texte, mais dès à présent, elle sfachemine vers le contingentement par une
étude méthodique des importations de films durant ces quatre dernières années.
Pour ce pays, la question sera extrêmement délicate à résoudre, tant du fait de
la faiblesse numérique de la production suisse, que de la diversité
des langues employées dans la confédération helvétique.[5]
Donnons ensuite des chiffres sur lfimportation des films étrangers dans
ce pays. En 1928, la Suisse importe 375 films américains, 300 films allemands,
60 films français et 20 dforigines diverses[6].
Le chiffre total est donc de 755 et, en pourcentage respectivement 49,7%, 39,7%,
7,9% et 2,7%. Dans la même année, la France passe au total 583 films dont la
répartition est de 313 films américains (53,7%), 122 films allemands (20,9%),
96 films français (16,5%) et 52 dforigines diverses (8,9%)[7].
La Suisse importe et présente donc plus de films que la France.
Citons dfautres chiffres concernant ces deux pays après lfintroduction
du parlant. En 1934, la Suisse importe 515 films de long métrage[8],
tandis que la France en présente 436[9].
En 1935, ce chiffre atteint 482[10]
contre 466[11]. Pourtant,
dans les années trente, la Suisse ne compte environ que quatre millions
dfhabitants, contre dix fois plus en France. Proportionnellement à la
population, on peut donc considérer la Suisse comme un pays de forte
importation.
Reflétant le multilinguisme du pays, on présente ainsi des films
importés avec des g sous-titres bilingues h,
français-allemand, depuis lfépoque du muet. Cette tradition demeure aujourdfhui
encore en Suisse, ainsi qufen Belgique (français-flamand), en Finlande (finois-suédois),
en Lettonie (letton-russe) et à Hong Kong (chinois-anglais)[12].
En France, le g sous-titrage h
et le g doublage h coexistent
actuellement en tant que procédé de présentation. Citons lfentrée g sous-titres h
dans le Dictionnaire du cinéma de Larousse, qui résume lfhistoire de ces
deux façons de présenter des films étrangers :
À lfavènement du son, si
les films cessèrent dfêtre « hachés » par les intertitres, le
problème de la langue devint, en revanche, plus difficile à résoudre. Au début,
lfon employa les sous-titres. Mais, comme cfest encore le cas
aujourdfhui malgré lfévolution culturelle, les sous-titres ne permettaient de
toucher qufune fraction du public. Rapidement, après avoir essayé les
« versions multiples », lfon en vint au doublage, qui demeure
le mode privilégié de diffusion des films étrangers. (...) Cfest notamment le
cas en France, Paris étant, sauf erreur, la seule grande ville au monde où le
public a presque systématiquement le choix entre « v.f. » (version
française, cfest-à-dire doublée) et « v.o. » (version originale),
au point que lfexpression « v.o. », qui nfimplique pas par elle-même
lfexistence de sous-titres, est pratiquement devenue synonyme de « version
originale sous-titrée ».[13]
La Suisse, pays en question dans le présent
article, pratique aujourdfhui encore ces deux formules parallèlement. Dans la
rubrique des films, nous avons le choix entre g v.o. h et
g v.f. h ou g p.f. h (parlé français) dans la Suisse
romande sur le même modèle qufà Paris.
Pourtant,
au moment du passage du muet au parlant, ce nfest pas une simple alternative
entre ces deux options qui se présente comme aujourdfhui. À lfépoque,
lfindication précise de toutes les langues parlées et traduites dfun film sert
avant tout à des fins publicitaires. Les exploitants usent de cette
indication pour attirer le public.
Dans les chapitres suivants,
jfexaminerai de manière détaillée lfexploitation en Suisse romande en mfappuyant sur la presse, notamment en ce qui
concerne la présentation des films étrangers. Il sfagit dfétudier la naissance
des g sous-titres h, tels qufils perdurent
aujourdfhui, et dfenvisager la question du g doublage h ainsi que
dfanalyser lfévolution vers la g v.o. h (version originale) et la
g v.f. h (version française).
2. Le passage du muet au parlant à Lausanne
En Suisse, le passage
du muet au parlant commence avec la première du film considéré comme le premier
film g parlant h du monde : Le chanteur de
jazz [The Jazz Singer, USA, 1927, Alan Crosland]. La publicité de ce
film américain apparaît dès le 1er juin 1928 dans Schweizer Cinéma Suisse[14].
Ce film en version g
parlante ou sonore h est présenté au public pour la première fois en Suisse, le
2 août 1929 dans la salle de lfAlhambra à Genève. Également à Lausanne, on
commence à sonoriser les salles suite à la présentation de ce film le 27
décembre 1929 au cinéma Bourg, qui change alors de nom et devient le Bourg g
Sonore h.
Cependant le film avait
été déjà présenté en version g muette h avec un accompagnement
musical interprété par lforchestre du Théâtre Lumen, le 1er mars 1929 à
Lausanne. La chronique g Dans nos cinémas h de la Feuille
dfAvis de Lausanne du 4 mars 1929 commence par la critique suivante :
Ce « Chanteur de Jazz » est en Amérique,
paraît-il, un film « parlant ». À nous, il nous est arrivé muet :
est-ce peut-être cette différence entre ce qufil est intégralement et ce qufil
a dû devenir pour nous que sont dues certaines longueurs, qufest due en
particulier une abondance un peu lassante de texte et de sous-titres ?
Peut-être, et admettons. En tout cas, même « muet », le film est bon,
et intéressant.
Contrairement
à ce qufimagine le critique, le problème de lfabondance des sous-titres nfest
pas dû à la différence entre la version sortie le 6 octobre 1927 en Amérique et
celle de Lausanne. Certains des premiers films parlants contiennent encore des
g textes intercalés h, comme cfest le cas du Chanteur de jazz. On
pourrait même dire qufà nos yeux cfest un film muet avec des parties sonores.
Les textes intercalés
du g muet h étaient appelés à lfépoque
les g sous-titres h, de même que les textes traduits
au bas de lfimage. Aujourdfhui, on nomme les premiers les g
intertitres h. Ainsi ce terme g sous-titres h est dfun usage peu
clair dans la presse au moment du passage du muet au parlant.
À lfépoque, il y a trois grands quotidiens à Lausanne : la Gazette
de Lausanne, La Tribune de Lausanne, la Feuille dfAvis de
Lausanne. Dans ces quotidiens, la rubrique des films g Communiqués
h donne le même commentaire. Rédigée par la direction des salles, elle est
publiée lors de la sortie de nouveaux films. En
général, les salles changent de programme le vendredi.[15] Le public choisit le film qufil va
voir en consultant cette rubrique chaque vendredi. Lfindication sur le moyen de
présentation sert de publicité et guide son choix.
Par conséquent, les
qualifications données à chaque film seront soigneusement choisies
par lfexploitant et évolueront selon les spectateurs visés. En analysant ainsi
les diverses indications dans les deux annexes, nous pouvons examiner les
diverses stratégies publicitaires auxquelles ont recouru les exploitants. Les
critiques des films ne sont publiées qufaprès la sortie des films et paraissent
généralement le lundi ou le mardi, sous le titre : g Dans nos cinémas h (Feuille
dfAvis de Lausanne, lundi), g Devant les films h (La Tribune de Lausanne,
mardi), et g Parmi les films h puis g Dfun film ou dfun autre h (Gazette de
Lausanne, lundi).
À lfépoque, dfaprès le g carnet du jour h de la Gazette
de Lausanne (voir lfAnnexe 1), il y a six salles principales à Lausanne. Ce
g carnet du jour h présente quotidiennement le programme des divers spectacles,
théâtre, concert et cinéma, qui se donnent à Lausanne.
La première
salle à sféquiper en sonore est le g Bourg-Sonore h, le 27 décembre 1929,
inaugurant ainsi lfère du parlant à Lausanne. À sa suite, trois salles de
cinéma, le g Modern h cinéma sonore, le g Capitole h et le théâtre g Lumen h,
sféquipent lfune après lfautre au cours de lfannée 1930. Par conséquent, à
partir dfavril, la moitié des salles est sonorisée. En septembre, il nfen reste
que deux muettes sur les six.
Avec la sonorisation des salles, la rubrique des films se met à qualifier
chaque film non muet de g sonore h, g chantant h et
g parlant h. Lorsque La route est belle
[France, 1929, Robert Florey], premier film g parlant h
français, est présenté à Lausanne, le 11 avril 1930, on le qualifie de g premier
film français 100% parlant et chantant h ou g film
entièrement dialogué et chanté en français h.
Dès lors, on applique à la plupart des films parlants des qualifications très
détaillées, selon le niveau de la technique dfenregistrement. En plus, on
précise la langue parlée dans le film (parlant g français h ou
g allemand h), et on
cherche à être le plus précis possible en qualifiant de muet, parlant,
chantant, etc. Ainsi ces indications sur la quantité des
dialogues parlés et des langues employées servent de moyen publicitaire
important dans la rubrique des films (voir lfAnnexe 1).
Par contrecoup, les salles non équipées tentent aussi dfimiter cette
formule en soulignant leur spécialité g muette h.
Citons quelques articles du cinéma gPalaceh :
La direction du Cinéma Palace
est heureuse dfannoncer à son aimable clientèle qufà partir du mercredi 29
octobre seuls des films inédits, muets et de tout premier choix passeront à son
écran. [24 octobre 1930][16]
Fragments
du journal dfun séducteur est un film qui fait honneur à
la programmation toujours très soignée du Cinéma Palace qui est et reste à
Lausanne le refuge du 100% muet. [5 décembre 1930][17]
Mais cette tentative de résistance à la
sonorisation ne dure qufun an et le cinéma Palace sfaligne
sur les autres salles lausannoises le
30 octobre 1931. Quant au g Royal Biograph h, il continue seul dans sa
tradition muette, mais son nom disparaît peu à peu du g carnet du jour h de la Gazette
de Lausanne au cours de lfannée 1933.
Dfaprès la Feuille dfAvis de Lausanne, il se transforme en cinéma
Royal-Biograph gsonoreh le 28 décembre 1934. Ainsi, en 1934, la sonorisation de
toutes les salles est achevée. Citons lfarticle g Dans nos cinémas h de la Feuille
dfAvis de Lausanne, daté du 31 décembre 1934 :
Au
Royal-Biograph
Après avoir fait sa renommée avec le
cinéma muet, au temps heureux où le plus trépidant des films du Far-West ne
troublait aucunement le spectateur quelque peu somnolent, le Royal-Biograph sfest,
lui aussi, adapté au cinéma sonore.
Il fait sa réouverture cette semaine avec
une salle complètement transformée, aménagée avec goût et des appareils qui
paraissent absolument au point.
Voici un tableau chronologique du passage au parlant à Lausanne :
g Chronologie de la sonorisation des salles lausannoises
avec leur premier film parlant présenté h
1929
27/12 : Bourg-Sonore ; Le chanteur de jazz
1930
11/ 4 : Modern ; La route est belle
18/ 4 : Capitole ; La nuit est à nous
[France, 1929, Carl Froelich, Henry Roussell]
12/ 9 : Lumen ; Mon gosse de père [France, 1930, Jean de Limur]
1931
30/10 : Palace ; Huit jours de bonheur (premier titre)
[Nuits de
Venise, France, 1931, Robert Wiene, Pierre Billon]
1934
28/12 : Biograph ; Les Faubourgs de New York
[USA,
interprète : Wallace Beery]
Ainsi le parlant sfest installé à Lausanne en cinq années, de 1929 à
1934. On peut donc qualifier cette période comme étant le moment du passage du
muet au parlant dans cette ville.
En Suisse, la sonorisation des salles sfeffectue
donc plutôt rapidement, par rapport à dfautres pays européens. La
Cinématographie Française nous donne des statistiques sur les salles
équipées sonores. Selon ses chiffres, on peut dresser le
tableau suivant sur le pourcentage des salles sonorisées dans quelques pays
dfEurope et aux États-Unis.
Pays : pourcentage [nombres des salles sur le
total](›=rang)
Allemagne : 41,0[ 2.200/
5.360]‡C
78,4[ 4.000/ 5.100]‡F
Angleterre : 70,2[ 3.163/
4.500]‡A 94,5[ 4.414/ 4.672]‡B
Autriche : 22,1[ 165/ 745]‡H 67,1[ 570/ 850]‡I
Belgique : 17,0[ 121/ 710]‡K 61,5[ 400/ 650]‡J
Espagne : 6,6[ 205/ 3.100]‡N 57,7[ 1.500/ 2.600]‡K
Danemark : 3,8[ 135/ 400]‡F 86,6[ 303/ 350]‡D
France : 20,8[ 703/ 3.502]‡I[20] 5,6[ 2.684/ 4.825]‡L[21]
Grèce : 23,2[ 43/ 185]‡G 100,0[ 100/ 100]‡@
Italie : 9,8[ 245/ 2.500]‡L
43,1[ 1.079/ 2.500]‡N
Norvège : 18,3[ 45/
245]‡J
74,5[ 175/ 222]‡G
Pays-Bas : 75,3[ 162/ 215]‡@
94,1[ 240/ 255]‡C
Pologne : 8,7[ 75/ 861]‡M 46,5[ 353/ 759]‡M
Portugal : 2,7[ 11/
398]‡O 42,8[ 107/ 250]‡O
Suède : 34,5[ 411/ 1.190]‡D 68,2[ 750/ 1.100]‡H
Suisse : 34,5[ 107/ 310]‡E 97,4[ 302/ 310]‡A
U.S.A. : 55,0[12.500/22.731]‡B
78,9[15.000/19.000]‡E
Remarquons que, selon ces chiffres, lfinstallation du parlant semble
achevée en 1934, non seulement à Lausanne, mais dans presque toute la Suisse.
Quant au premier film sonore suisse, il est tourné en Suisse alémanique
et à Vienne en 1930. Ce film intitulé Bünzli fait du cinéma [Bünzlifs
Grossstadt-Erlebnisse, Robert Wohlmuth], est destiné uniquement à la Suisse
alémanique et est inédit en Autriche. Après ce film, il y a eu quelques
coproductions entre la Suisse alémanique et lfAllemagne, alors que lfon tourne
encore des films muets au cours des années trente. Ainsi, alors
que la Suisse affiche un certain retard dans la production sonore, on
peut considérer qufelle est un des pays évolués dans lfexploitation au vu des
salles équipées en Europe.
Passons à lfanalyse de lfexploitation des films importés en Suisse, pays
multilingue, en observant la question des langues
soulevée par le parlant. Jfanalyserai surtout le mode de
présentation des films étrangers selon leurs différents types (films avec
sous-titres, films avec résumé, films doublés, etc. ).
3.
Lfapparition des g sous-titres h et la
présentation des films g allemands h avec g résumé h en
français
La plupart des films parlants présentés à Lausanne au début du sonore
proviennent de lfétranger, comme Le chanteur de jazz. En ce qui concerne les films
présentés avec g sous-titres h dfaujourdfhui, la
première indication apparaît le 28 mars 1930 dans un quotidien lausannois. Il
sfagit dfun film américain Weary River [1927, Frank Lloyd] présenté au
Bourg à partir du 14 mars. La rubrique rédigée par lfexploitant précise : g Le
Bourg ayant eu la copie de Weary River directement de Paris, tous les dialogues
sont donc traduits en français et le public suit ainsi parfaitement lfaction h[22].
De même, dans la Feuille dfAvis de Lausanne, la publicité du film
déclare : g Attention : Les dialogues sont traduits h[23].
La chronique g Dans nos cinémas h de la Feuille dit à ce sujet :
...Les dialogues parlés en
anglais, avec traduction française au bas de la photographie ne peuvent,
à notre avis, rien donner de bon.(...)
La photographie et la mise en scène sont,
évidemment, sacrifiées à la musique. Les artistes doivent probablement
travailler dans un champ très restreint et les têtes ne sont pas toujours en
entier sur lfécran; ces coupures proviennent peut-être aussi des textes
traduits que lfon ajoute au bas de la photographie.[24]
Citons la même chronique, datée du 28 avril
1930, à propos du Fou chantant [The Singing Fool, USA, 1928,
Lloyd Bacon] dfAl Jolson présenté dans la même salle :
Au point de vue technique,
la photographie est sacrifiée à la sonorisation et surtout au texte-traduction
qui suit au bas de lfécran les paroles du haut-parleur.
Comme le
montrent les expressions que jfai soulignées, le terme g sous-titres h
dfaujourdfhui nfest pas employé dans ces citations, car au début du parlant, on
utilisait le terme g sous-titres h
pour désigner les textes insérés des films muets. Pour pouvoir présenter certains films parlants, on a
rajouté, selon la pratique du muet des cartons. Il sfagit de lfg adaptation h exécutée
exclusivement pour des films étrangers. Cfest un pis-aller, mais à lfépoque
très courant un peu partout en Europe, afin dféviter lfhostilité à lfégard des
dialogues en langue étrangère,
incompréhensibles à ceux qui
ne pratiquaient pas la langue utilisée dans le film. Par exemple, Lfange bleu
[Der Blaue Engel, Allemagne, 1930] de Josef von Sternberg est présenté
en deux versions à partir du 20 décembre 1930 dans la même salle de Paris et en
trois dès mai 1931. Le film a été tourné en deux versions, allemande et
anglaise. Le programme de cinéma du quotidien français Le Temps, annonce
: g version française h et g version intégrale
allemande h[25]. Quant à la version
française qui nfexiste pas à proprement parler, un article de Pour
Vous, daté du 18 décembre 1930 explique les détails :
La version originale et une autre sont
alternativement projetées sur le même écran. La seconde, où le dialogue est
souvent remplacé par des sous-titres et où des chansons sont dites en
anglais (étant empruntées à lfédition britannique du film), est évidemment
inférieure à la première, moins caractéristique, quoique les sons importants,
tels que le « cocorico » du pauvre clown, y subsistent aussi.[26]
Avec cette formule dfg adaptation h, qui a duré quelques années, on rajoute,
lors de la présentation des films étrangers, des g sous-titres h
identiques à ceux du muet en supprimant le dialogue et la voix des personnages. Il en résulte une grande difficulté pour identifier
précisément ce que le terme g sous-titres h désigne dans la presse de
lfépoque.
Après lfapparition des g sous-titres h dfaujourdfhui
dans Weary River et Le fou chantant, il nfy a pas de mention
précise pour qualifier les textes traduits, dits g au bas de
lfimage h dans la chronique cinématographique. Parallèlement
une autre sorte de textes traduits apparaît, sous le nom de g résumé h.
Dans la rubrique des films de la Gazette de Lausanne, cette formule
domine durant deux années, de 1930
à 1931 (voir les notes de lfAnnexe 1).
Cette
indication figure pour la première fois lors de la présentation du
film allemand Valse dfamour [Liebeswalzer, 1930, Wilhelm Thiele],
le 2 mai 1930. La rubrique des films indique : g À lfintention des personnes
ignorant la langue allemande, un résumé de lfaction paraîtra sur lfécran h[27].
À partir de cette seule indication, nous ne pouvons pas préciser de quoi il
sfagit. Est-ce un résumé sous forme de sous-titres au bas de
lfimage ou sfagit-il de textes insérés au cours du film? Quelle place
occupaient-ils, étaient-ils très détaillés ou au contraire très sommaires?
La chronique cinématographique de la Feuille dfAvis de Lausanne, datée
du 5 mai nfexplique que succinctement :
« Valse
dfamour », ou plutôt « Liebeswalzer », puisque cfest entièrement
en allemand, avec quelques mots dfanglais. Heureux, désormais, ceux qui sont
polyglottes tout au moins quelque peu. Les autres, ma foi, ils ont les quelques
textes traduits en français; cela suffit sans doute à suivre lfaction grosso
modo, mais tout le joli des paroles se perd pour eux.
Pour sa part, La Tribune de Lausanne
datée du 6 mai 1930 ne mentionne même pas lfexistence des textes traduits dans
ce film parlant :
(...) Dfabord, les acteurs
parlent allemand et quelquefois anglais, et à moins dfêtre suffisamment
polyglotte, le spectateur, lfauditeur plutôt, ne peut apprécier toute la saveur
et lfhumour des dialogues.
En 1930, la rubrique des films de la Gazette de Lausanne recourt
à ce terme g résumé h de manière récurrente.[28]
Ce qualificatif est encore usité au cours des années suivantes.
Curieusement, cette formule nfest appliquée qufaux films g allemands h,
comme Lfange bleu, présenté au Capitole le 8 août 1930, ou encore Quatre
de lfinfanterie[Westfront 1918, Allemagne, 1930, G. W. Pabst], au
cinéma Modern le 12 septembre 1930.
Que signifie alors ce g résumé h?
Jfimagine deux possibilités. En premier lieu, ce sont des g sous-titres h
courts au bas de lfimage. Par exemple, le film allemand intitulé Deux
cœurs...une valse [Zwei Herzen im 3/4 Takt, 1930, Geza V. Bolvary],
sorti le 13 juin 1930 au Capitole, est présenté aussi en France. Le commentaire
sur ce film dans Pour Vous daté du 28 mai 1931 explique : g Les
personnages parlent allemand, des sous-titres assez brefs sont rédigés
en français, illustrés de quelques fautes dforthographe h[29].
Cependant, on ne peut pas vérifier sfil sfagit de la même copie, dfautant
plus que le film est présenté à Lausanne avant la France. En
plus, le terme g sous-titres h sfemploie dans plusieurs sens,
comme déjà mentionné.
En deuxième lieu, citons un article g À propos du cinéma parlant h de La
Tribune de Genève daté du 3 juin 1931 :
Nous disons, selon une
formule qui nfest peut-être pas dfune arithmétique très orthodoxe, 200% parlant
allemand. Nous voulons faire entendre par là qufon y parle un peu plus qufil
nfest permis et que le spectacle, ou plutôt lfaudition, est essentiellement
destinée aux spectateurs pour lesquels la langue de Goethe nfa pas de secrets,
encore qufun long résumé de lfaction en précède la projection. (...)
Il y a dfabord celui-là même que nous
venons de dire où lfon se borne à faire précéder le film dfun résumé de
lfaction. Mais le procédé ne convient qufaux actions extrêmement simples ou
dont il suffit, pour prendre intérêt au spectacle, de savoir lfessentiel. Pour
peu qufau contraire le scénario soit compliqué et les événements nombreux,
nécessité est, dans ce cas, de développer le dit « résumé » de telle
façon qufen cours de spectacle on a tout le temps dfen oublier la plus grande
partie.
Dfoù lfon peut déduire qufil sfagit dfun vrai
g résumé h de lfaction projeté sur lfécran,
mais en une seule fois, avant le film, pour ne pas couper les images. Cette
formule me semble ressembler aux g sous-titres h explicatifs
du muet. À lfépoque du muet, mais aujourdfhui cela arrive
encore, on passait parfois des textes explicatifs au début
dfun film. Comme on sfattendait à voir et à entendre un film parlant sans qufil
ne soit coupé par lfancien procédé du muet, les g sous-titres h,
on devait globalement les éviter, la présence
dfun unique texte introductif étant seule tolérée.
En conclusion, il me semble que ce procédé
appliqué uniquement à des films g allemands h est
une spécialité de la Suisse romande. Selon ce dernier article de La Tribune
de Genève, rédigé au milieu de lfannée 1931, il semble que le
film avec g résumé h existe depuis longtemps. Ensuite
la critique analyse plusieurs procédés pour les films étrangers considérés comme insatisfaisants
: lfg adaptation h, les g versions multiples h, le
g doublage h et le g résumé h.
En plus, de nombreux films allemands sont présentés en France dfune
manière différente qufà Lausanne. En France, il y avait une sorte de crainte de
passer un film entièrement en allemand, alors qufen Suisse, lfallemand est
évidemment une des langues nationales. Quatre de lfinfanterie de Pabst
est ainsi sorti doublé le 13 décembre 1930 en France, plus tard qufà Lausanne.
Par la suite, cette version doublée en français est importée et présentée le 7
août 1931 à Lausanne. Le premier film avec g résumé h,
Valse dfamour, sort également en France après Lausanne pour être
présenté dans une g adaptation h
française. Le commentaire de Pour Vous, daté du 9 octobre 1930, explique
qufil sfagit dfgUn film allemand parlant auquel on a enlevé un certain nombre
de dialogues pour les remplacer par des sous-titres français et où on a mis
plusieurs réparties en notre langue dfoù, de temps à autre, un décalage h[30].
Cette formule est complètement différente de celle de Lausanne, où
le film passe g entièrement en allemand h.
Par ailleurs, lors de la sortie de Deux cœurs... une valse, la
chronique g Dans nos cinémas h de la Feuille dfAvis de Lausanne affirme
: g La Suisse est un mélange de races et de cultures. Et nous sommes Latins,
nous autres Romands : mais aptes à saisir et à aimer certains traits de
lfesprit germanique h[31].
En réalité,
la question nfétait pas aussi simple. La plupart des critiques avouent leur
incompréhension de la langue de Goethe face à un film parlant allemand et
attendent impatiemment le parlant français qui se développe un peu plus tard.
Cependant, il me semble qufun film entièrement parlant allemand attire toujours
un nombre important de spectateurs, au point qufil
y aura même une salle spécialisée pour les films allemands dans cette ville
francophone. En outre, au début du parlant, la rubrique des films ne donne
des indications que concernant les deux langues importantes, soit le
g français h, soit g lfallemand h, mais jamais
g lfanglais h (voir lfAnnexe 1). Cela peut sfexpliquer du fait que, dans
les années trente, il y avait environ 15% dfhabitants germanophones à Lausanne.
Dfailleurs, on peut dire que 15% est un nombre assez important. Rappelons que
les francophones nfoccupent que 20% environ de la population totale de la
Suisse.
4. Lfévolution
du terme g sous-titres h vers la g version originale h
Après la première apparition dans le film des textes traduits au bas de
lfimage, le terme g sous-titres h nfapparaît
qufune seule fois en 1930 dans la Gazette de Lausanne. Cfest un film
sonore, chantant, allemand Delikatessen [1930, Geza V. Bolvary], qui est
présenté avec des g sous-titres h
français le 3 octobre. La chronique de la Feuille dfAvis de Lausanne,
datée du 6 octobre 1930 mentionne : g Les chants sont attrayants, même pour
ceux qui ne connaissent pas la langue allemande. Dfailleurs, des sous-titres
permettent au spectateur non polyglotte de ne rien perdre de lfintrigue h.
Cependant on ne peut pas savoir de quels g sous-titres h il sfagit,
vu le manque de précision dans lfutilisation du terme à lfépoque. Mais comme
lfon nfindique pas qufil sfagit dfun film g parlant h,
ce sont probablement des sous-titres du muet. De même, La Tribune de
Lausanne daté du 7 octobre 1930 écrit simplement que cfest g un film
dfexcellente facture, sonore avec textes français et une chanson h.
Par ailleurs, citons un article plus confus de la Gazette de Lausanne,
daté du 20 mars 1931 :
HALLELUJAH [USA,
1929]
au Bourg-Ciné-Sonore, prolongation du grand film de
King Vidor: Hallelujah. La version actuelle, sonore et chantée en
anglais, avec sous-titres français et allemands passera jusqufà dimanche
soir, et, à partir du lundi 23 mars, le Cinéma du Bourg présentera la version,
entièrement parlée en anglais avec quelques mots de texte allemand en
surimpression.
Si la première version est sonore, chantante
et non parlante avec g sous-titres h,
il sfagit probablement des
sous-titres du muet ou de lfadaptation. Par contre, la dernière contient des
textes surimpressionnés sur lfimage, cfest-à-dire g sous-titres h
au bas de lfimage, mais limités en nombre. En effet, ce film est également
présenté à Paris, dfabord en version française g adaptée h
et ensuite une fois par semaine en version g intégrale h.
Dans un article intitulé g A propos de la version intégrale dfgHallelujahh h de
Pour Vous daté du 1er janvier 1931, René Lehmann écrit que la version
non intégrale garde g plus de soixante-cinq pour cent du texte, des
musiques et des chants de la version originale h[32].
Il présente aussi les deux versions au lecteur ou spectateur :
Les amateurs de cinéma,
soucieux de connaître dans son intégralité lfesprit dfun film tel que Hallelujah,
viendront donc, dans une représentation spéciale donnée aux Miracles,
voir la version originale de ce film et le public qui se presse aux
représentations ordinaires où on lui présente une version éclairée de sous-titres
français, diminuée dfun langage qui nfest point familier à ses oreilles,...[33]
Dans ce cas aussi, les g sous-titres h
(tels que je les ai soulignés dans
le texte) ne désignent pas ceux qui se trouvent au bas de lfimage.
Malgré lfapparition des textes traduits au bas de lfimage, il semble que le
terme g sous-titres h signifie
encore ceux du muet au cours de lfannée 1931.
En plus, on précise g textes en
surimpression h pour bien les distinguer des g sous-titres h.
Les textes surimpressionnés dans ce film en version intégrale sont pourtant
encore limités ou résumés.
Après deux années pendant lesquelles le qualificatif g résumé h
dominait, lfindication sur les textes traduits disparaît
peu à peu dans la rubrique des films de la Gazette de
Lausanne. En 1932, on indique seulement deux fois g avec texte allemand en
surimpression h sur deux films américains de Marlene Dietrich. En 1933 aussi,
il nfy a pas beaucoup dfindications, mais une nouveauté importante apparaît,
celle du qualificatif de g version originale h.
Lors de la sortie du film parlé en anglais Buffalo-Bill le 31
mars 1933, la rubrique des films indique pour la première fois g version
originale, sous-titres français et allemands h[34].
Avec cette formule g originale h
concernant le parlant, il nfy a pas dfaddition des g sous-titres h
sur le mode du muet, ni de coupure dans le dialogue parlé. Il
sfagit véritablement des g sous-titres h
dfaujourdfhui.
En outre, une semaine plus tard, la rubrique des films présente un film
de Maurice Chevalier Aimez-moi ce soir [Love me Tonight, USA,
1932, Rouben Mamoulian] en le
qualifiant ainsi : g Ce film, pour le bonheur des vrais
amateurs de bon cinéma, nfest pas doublé, mais passe dans sa version originale
anglaise, avec sous-titres français h[35].
Un an plus tard, la rubrique du 27 avril 1934 annonce une autre g version
originale h et précise g avec
sous-titres français h :
Air Mail
[USA, 1932, John Ford] est présenté dans sa version originale, soit parlant
anglais avec sous-titres français. Pour ceux qui craindraient de ne pas
pouvoir suivre le film parce que parlé anglais, ajoutons que la beauté,
lfémouvante grandeur du film ne résident pas dans le dialogue, mais dans
lfaction, dfune dynamisme étonnant, et que les sous-titres rédigés en français
traduisent clairement les principales répliques.[36]
La critique de la Gazette de Lausanne
écrit à propos de ce film : g g Air Mail
h nfest pas doublé mais porte seulement des sous-titres en français. Ce petit
inconvénient ne doit pas mfempêcher de louer la qualité des images
aériennes h[37].
Lfexpression g version
originale h prend ainsi la signification que nous lui reconnaissons encore
actuellement. En même temps, lfusage du terme g sous-titres h
se fixe au sens dfaujourdfhui. Au fur et à mesure que des films parlants se
développent et sfinstallent dans la production et lfexploitation, des produits
muets diminuent et disparaissent des salles. De plus, on mentionne de moins en moins souvent la
présence de g sous-titres h intercalés.
Au début
du parlant, quelques critiques considèrent les g sous-titres h
au bas de lfimage comme un procédé peu satisfaisant. Ils se
trouvent rarement mentionnés dans la presse. Quand les
versions doublées se multiplient, on commence alors à préciser la présence des g sous-titres h
en tant qufaccessoires de la g version originale h.
Enfin, après quelques mois de silence avec très peu dfindications, des
formules telles que g version originale avec
sous-titres français (et allemands) h se
mettent à apparaître fréquemment dans la rubrique des films en 1935 suite à
lfétablissement complet du parlant (voir lfAnnexe 2).
5. Le g doublage h et le
g parlant français h versus la g version originale h
Après sa première présentation en avril 1931 en France, le film
américain, Désemparé [The Derelict, 1930, Rowland V. Lee] passe
pour la première fois au Lumen à Lausanne le 26 juin 1931. Lors de sa sortie,
la rubrique des films de la Gazette de Lausanne qualifie ce film à
succès, doublé en France de g Dialogue français, adapté à la version américaine
h. Voici la critique qufen fait la Feuille dfAvis de Lausanne du 29 juin
1931 :
Dans Désemparé
Bancroft qui est un pur américain, parle en français. On le devine, cfest du
« dubbing ». En dfautres termes cfest un film tourné par des
Américains et parlé par des Français. En principe cfest une chose
lamentable qui déshonore à la fois lfartiste qui se prête à ce triste truquage
et lfautre qui admet qufun autre puisse parler à sa place pendant que lui en
est réduit une pauvre pantomime. (...)
Les réserves faites au sujet du
« dubbing » en général mises à part, Désemparé est un film
intéressant, cfest une des meilleures productions de lfétonnant Bancroft.
Et le lendemain, La Tribune de Lausanne
critique le film de la même façon :
(...) Lfécran du Lumen présente
un film de résistance: George Bancroft dans Désemparé, une production
américaine parlante en français par le truchement du « dubbing ».
(...)
Désemparé est donc un film joué
par des Américains et parlé par des Français. Cfest ce que lfon appelle le
« dubbing », un procédé qui déshonore lfartiste se prêtant à un tel
truquage, comme celui qui loue sa voix à un autre artiste réduit à une pauvre
pantomime.
Il faut espérer que ce procédé artificiel,
commercial ne viendra pas contaminer la production cinégraphique; cfest un
dangereux parasite qufil faut combattre pendant qufil est temps et puis,
appelons les choses par leur nom. Cfest une vulgaire tromperie.
(...) Le film étant par ailleurs très bon,
il ne souffre que peu de cette parole artificielle.
Par la suite, de nombreux films doublés en français sont
importés en Suisse romande. Ils proviennent tous de France,
la Suisse ne sfoccupant pas de postsynchronisation, avant Le fusilier Wipf
[Füsilier Wipf, Suisse, 1938, Leopold Lindtberg] en 1938.
Dans la presse francophone, le terme anglais g dubbing h
est employé plus fréquemment que son
équivalent français g doublage h. En
effet, en 1931, la plupart des critiques emploient le terme anglais g dubbing h,
alors qufau cours de lfannée 1932 on utilise de plus en plus celui
de g doublage h. En 1933, le terme anglais semble
complètement remplacé par le terme français dans la presse francophone.
Cependant, ce terme nfest utilisé que dans la critique, et jamais dans
la rubrique des films, ni dans les publicités rédigées par lfexploitant. Analysons
une stratégie dfexploitation afin dfattirer le spectateur à un film doublé.
Le
7 août 1931, on présente deux films doublés à Lausanne : Cœurs brûlés [Morocco,
USA, 1930, Josef von Sternberg] et Quatre de lfinfanterie de Pabst. La rubrique
des films indique : g Dialogue français adapté à la version américaine h[38]
pour le premier, et g version française h[39]
pour le second. Tout de suite, Jean Rubattel critique cette indication dans g
Devant les films h de La Tribune de Lausanne du 12 août 1931. Il affirme
dfabord que, pour reconquérir le marché européen, les Américains utilisent deux
moyens lamentables, comme dans le cas de Cœurs brûlés : le g dubbing h
et la g dénationalisation h. La critique mentionne aussi que le film de Pabst a
été présenté à Lausanne dans une version différente lors dfun
passage précédant :
Jfai préféré la version
originale entièrement parlée en allemand, mais les quelques passages parlés
en français ne souffrent fort heureusement pas trop de la mutilation du dubbing.
Les principales scènes, notamment celles de la fin, nfont pas été touchées.[40]
Ainsi, la chronique
cinématographique ne cesse de critiquer le procédé du g dubbing h
en le considérant comme g fâcheux h[41],
tandis que le terme g dubbing h ou g doublé h
nfest jamais utilisé dans la rubrique des films annoncée par lfexploitant.
Après Désemparé et Cœurs brûlés, la rubrique des films
emploie plusieurs fois g dialogué en français h
jusqufau cours de lfannée 1933, où elle se met à employer un autre qualificatif
déjà populaire : g parlant français h. Ainsi
le film de Marlene Dietrich Shanghai-Express [USA, 1931, Josef von
Sternberg], est présenté à titre de g film Paramount, parlant français h[42]
dans la rubrique des films, lors de sa sortie le 30 septembre 1932. Évidemment,
tout le monde devait savoir que lfactrice ne parlait pas le français et que le
film est donc doublé. Cependant, cette formule souligne avant tout que le film
est g parlant français h, le
spectateur espérant entendre sa propre langue depuis lfarrivée du parlant.
Au début du parlant, il manquait de films français dans les salles. On
programmait alors des parlants anglais ou allemands (dans le cas de la Suisse
romande). Avec lfarrivée des produits français, la rubrique des films commence
à préciser parlant g français h, puis g entièrement
parlant français h et g 100% parlant français h (voir
lfAnnexe 1).
Ainsi, la publicité recourt au même qualificatif g parlant
français h, même si ce nfest pas un produit français. On
va même jusqufà abuser de la fameuse expression g 100%
parlant français h, sans cacher lforigine
américaine du film, comme par exemple dans la publicité de Pur sang
[interprète : Clark Gable] du 3 février 1933[43].
Par conséquent, ce qualificatif de g parlant
français h pour un film g doublé h se
généralise petit à petit, de sorte qufen 1934, on ne peut plus distinguer entre
un gvraih film
français et un film doublé. La confusion est due au fait que lfon continue à
utiliser la même indication pour la plupart des films français. En
fin de compte, cette formule g parlant français h à double sens
deviendra la g version française h dfaujourdfhui, parce que la
g v.f. h comprend aussi les films français. Le dictionnaire du cinéma
Larousse indique que g v.f. h signifie la version française,
cfest-à-dire, g doublée h, mais en fait, elle représente tous les
films qui parlent g français h, tous les films g parlant
français h. À lforigine, il y a une distinction entre le g film
français h parlant français et le g film doublé h en français.
Puis sfétablit une confusion qui réunit ces deux formules dans une même
catégorie.
Par ailleurs, on commence à souligner la présence de films étrangers g non
doublés h. Cfest alors que naît le terme g version
originale h qui se généralisera progressivement dans la
critique et la rubrique des films. Au début, on lfutilise lors de la
présentation dfun même film dans deux versions. Dans lfarticle de La Tribune
de Lausanne sur Quatre de lfinfanterie cité plus haut, la critique
précise que la g version originale h est
entièrement parlée en allemand au contraire de la française, cfest-à-dire
doublée. Quant à lfautre film mentionné dans le même
article, Cœurs brûlés, il est également sorti plus tard à Lausanne en
version originale, le 5 février 1932. La rubrique des films annonce que g
« Morocco » est la version originale de « Cœurs
brûlés », entièrement parlée et chantée en anglais avec texte allemand en
surimpression h[44]. Enfin, un
autre film de Marlene Dietrich, Shanghai-Express, est présenté de
nouveau dans les deux versions dans la même salle à partir du 16 décembre 1932
:
« SHANGAI-EXPRESS »
passe au Bourg en deux versions cette semaine, soit
vendredi, samedi et dimanche, dans sa version dialoguée en français, qui
a déjà passé à Lausanne, et, à partir de lundi, dans sa version originale et
complète, parlée anglais avec textes allemands en surimpression.[45]
Lorsque Hallelujah a été présenté dans deux versions, g sonore et chantée avec sous-titres h et g intégrale h à
Lausanne en mars 1931, la rubrique des films nfa pas annoncé g version
originale h, mais a précisé plutôt :
g version, entièrement parlée en anglais avec quelques mots de texte
allemand en surimpression h. Pourtant, pour distinguer la g version
originale h de la version doublée, on commence à ajouter
lfexpression : g avec textes traduits surimpressionnés h.
Cette distinction entre le g parlant français h et la
g version originale avec sous-titres français (et allemands) h sfinstalle
en 1935 dans un quotidien lausannois (voir lfAnnexe 2). Cfest lfannée qui suit
le passage du muet au parlant dans lfensemble des salles lausannoises.
Ainsi, au début du parlant, la distinction entre
les deux procédés de présentation : le g sous-titrage h et le
g doublage h est liée avant tout aux langues
parlées dans le film, en termes de g version originale avec
sous-titres français (et allemands) h et de g parlant français h.
Ensuite, comme le mentionne le dictionnaire du cinéma Larousse, la g v.o. h
(version originale) deviendra synonyme de g version
originale sous-titrée h, alors que le g parlant français h ou
g v.f. h (version française) désignera plus particulièrement la
g version doublée en français h.
6. Les salles spécialisées et la diversité
des langues en Suisse
En 1935,
la France présente 135 films parlés directement en français, 237 films
étrangers en g version originale avec sous-titres français
surimpressionnés h et 251 films g doublés h dont
157 sont exploités dfabord en version originale, sur un total de 466[46].
Lfexploitation de ces nombreux films en version originale est limitée à 15
salles (5 à Paris, 10 en Province) par les mesures de g contingentement h[47].
Dans les cas où un film étranger en version originale remporte un grand succès,
on peut demander et obtenir une dérogation afin de le passer dans plus de 15
salles. Mais ce film nfest exploité tout au plus que dans une soixantaine de
salles françaises, dont 40 à Paris, soit seulement 1,5% environ du total des
salles françaises[48]. Ce sont
les g salles spécialisées h qui succèdent à celles
dfg avant-garde h, avant de devenir aujourdfhui les g cinémas
dfart et dfessai h en France.
À lfépoque, il existe trois catégories de salles en France : les salles
de première exclusivité, les salles de quartier et les salles spécialisées. Les
premières se trouvent au centre ville et passent des films dfexploitation
générale, cfest-à-dire g parlant français h,
soit de production française, soit doublés. Les deuxièmes présentent la même
sorte de films, mais à un tarif plus bas et quelques semaines après leur
première sortie. Les troisièmes passent des films étrangers dans la g version
originale h.
Le précurseur de ces salles spécialisées est le g Vieux-Colombier h
fondé le 14 novembre 1924 dans le but de diffuser des films
dfavant-garde. Ensuite, le g Studio des Ursulines h,
qui existe encore aujourdfhui, ouvre ses portes le 21 janvier 1926, puis le g Studio
28 h en 1928, g lfŒil de Paris h, les
g Agriculteurs h, le g Studio Diamant h en
1929, etc.. À lfépoque du muet, ces salles sfoccupaient de présenter des films
dfavant-garde, des classiques, des films g sans
sous-titres h comme Le dernier des hommes [Der
letzte Mann, Allemagne, 1924, F. W. Murnau], ou encore des films de Buñuel,
Man Ray, Kirsanoff, Pabst, Feyder, Clair, Stroheim, Epstein, Lubitsch, etc.
À
lfavènement du parlant, les salles spécialisées dans la
présentation des films en version originale se multiplient et usent de formules
variées. Les g Ursulines h, lors de sa réouverture
en tant que salle sonorisée, passe par exemple Lfange bleu en deux
versions. Certaines ne présentent que des films en anglais, en allemand ou en
espagnol. Ainsi, les salles spécialisées elles-mêmes changent de spécialisation
pour attirer le spectateur, mais leur nombre reste cependant limité
en France à cause du g contingentement h.
Ces salles spécialisées deviendront les g cinémas
dfart et dfessai h après la Seconde Guerre mondiale,
et se développeront surtout au cours des années quatre-vingt. À partir de 1961,
on commence le classement des salles g dfart et dfessai h
chaque année; classement effectué par le directeur général du CNC (Centre
National de la Cinématographie). Grâce à lfintervention de lfÉtat, le
pourcentage de ces salles atteint environ 20% du total dans les années
quatre-vingt, tandis qufen 1962, il ne représentait qufun pour cent des salles
françaises. Aujourdfhui, les salles classées de niveaux plus élevés sont
obligées par décret de présenter des films étrangers en version originale[49].
Passons au cas de la Suisse, qui nfavait pas de contingentement, mais où
existaient aussi une sorte de salles spécialisées.
Avec lfinstallation du parlant en 1935, sfétablit une série dfindication
(précise) sur les films présentés, telle que g films
français h, g parlant français h (films français ou versions doublées)
et g version originale avec sous-titres français (et allemands) h (voir
lfAnnexe 2). Cfest notamment après lfinauguration dfune nouvelle salle, le g Studio
10 h (ex Bel-Air) le 25 avril, qufapparaît régulièrement
dans la rubrique des films lausannoise le qualificatif de g version
originale h.
Auparavant, une autre salle du même nom existait à Genève. À ce propos, La
Cinématographie Française donne lfexplication ci-dessous dans un article
sur g Lfexploitation en Suisse h, daté du 12 janvier 1935 :
INNOVATION
Il faut signaler la création par MM.
Nobile et Lansac du Studio 10, à Genève, lequel est le premier établissement
spécialisé en Suisse. (...)
Cette salle a obtenu dfemblée un grand
succès auprès du public. La formule paraît bonne et lfaudace des créateurs de
cette salle est justement récompensée.[50]
Ensuite, la même revue, le 1er juin 1935
présente celui de Lausanne :
La rapide popularité
conquise ici par le cinéma dfavant-garde, Studio 10, a encouragé ses animateurs
à ouvrir à Lausanne une même salle qui portera le même nom, et qui, comme
lfétablissement genevois, ne passera que des œuvres étrangères en versions
originales.[51]
Ainsi, cette salle spécialisée annonce
presque chaque fois les termes de g version originale h dans
la rubrique des films, tandis que dfautres salles emploient des formules
différentes, comme g parlant ou parlé anglais avec sous-titres français et
allemands h.
Lors du passage du muet au parlant, une salle lausannoise tente de se
spécialiser. Cfest le Palace Sonore qui devient huit semaines durant en 1933
une salle spécialisée dans les films parlant allemand. La rubrique des films du
9 juin 1933 annonce que g Le Palace
sonore devient décidément un « deutsches Ton-Film Theater ». Le
succès remporté par ses productions allemandes lfencourage à persévérer dans
cette nouvelle voie h[52].
Et à partir de la deuxième semaine, même la rubrique des films est rédigée
plusieurs fois entièrement en allemand. Au stade de la publicité avant la
sortie, cette salle fait une tentative audacieuse : une annonce spécialement
destinée aux spectateurs germanophones qui sont beaucoup moins nombreux que les
francophones. Citons celle du 16 juin 1933 :
PALACE
SONORE
WIR GEBEN UNS DIE GRÖSSTE MÜHE
Ihnen Woche für Woche die besten Tonfilme
der gesammten Weltproduktion zu bieten.
Wir haben es nicht nötig, mittelmässige
Filme bombastisch anzupreisen, denn wir spielen tatsächlich nur anerkannte
deutsche Grossfilme. Hier der Beweis:
Letzte Woche: Liebe in Uniform.[1932,
Georg Jacoby]
Diese Woche: Zwei Glückliche
Herzen.
[Ein bißchen Liebe für Dich, 1932, Max Neufeld]
Nächste Woche: Strafsache von
Geldern. [1932, Dr. Willi Wolff]
Heute sehen Sie im Palace Sonore die schönste
Tonfilm-operette des Jahres 1933.
Dieser lebensfrohe Tonfilm schildert die
Erlebnisse eines Amerikaners in Wien in solch schmissiger, hinreissender
Fröhlichkeit, dass das Publikum restlos begeistert ist.
Sichern Sie sich Ihre Plätze im Vorverkauf![53]
Comme je lfai mentionné plus haut, au début du parlant, on passait régulièrement
à Lausanne des films allemands avec g résumé h.
Sfil sfagissait proprement parler dfun résumé précédant le film, cela veut dire
que le film était présenté en version originale g entièrement
parlant allemand h sans sous-titres français. Même
si ces films allemands nfintéressent pas tous les lausannois, on peut imaginer
qufil y avait un nombre suffisant dfentrées pour qufune salle puisse continuer
cette formule au plein centre de cette ville francophone. Même en 1936, le
Studio 10 annoncera un film g parlant allemand sans
sous-titres h. La rubrique des films datée du 3 janvier
1936 écrira : g cette œuvre admirable, présentée en version originale sans
sous-titres, attirera, rue Mauborget, tout ce que Lausanne compte de
personnes familiarisées avec la langue de Goethe h[54].
Cette tentative spéciale ne dure que deux mois, mais la même salle
passera parfois un film parlant allemand et italien en annonçant la langue du
film. Par exemple, la rubrique des films du 15 septembre 1933 présente : g
CINÉMA PALACE SONORE presenta un film di produzione italiana LA WALLY. Siamo
nel 1800, nel Tirolo... h[55].
Avec lfévolution du parlant, le recours à une langue particulière
semble pouvoir servir comme moyen publicitaire pour un film.
Lfitalien, troisième langue nationale, sera précisé, de même, dans la rubrique
des films.
Cfest le Studio 10, ce que La Cinématographie Française appellera
plus tard une g salle spécialisée h, qui reprend
la formule que le Palace pratiquait. Lors de la sortie dfun film italien, la
rubrique des films du 2 octobre 1935 est rédigée en deux langues, française et
italienne :
« Stadio » est
le titre de lfun des films récemment primés à la Biennale Cinématographique de
Venise, que le Studio 10 a pris lfheureuse initiative de présenter cette
semaine au public lausannois.
(...)
Cfest le film de la vie en plein air
de la jeunesse italienne.
Version originale (100% italien)
sous-titrée en français. Enfants admis.
žžž
Un dramma forte ‡]e
umano viene risolto nello Stadio. In questo film voi troverete il sole. Questo
film si ispira alla vita di oggi, e voi ritroverete il clamore, lfemozione e lo
spettacolo di uno Stadio.
Stadio è il film nuovo fatto da
giovani nuovi.
Versione originale 100% italiana.
Ragazzi sono ammessi.
Les deux parties de cette annonce bilingue ne
sont pas une simple traduction lfune de lfautre. Chaque partie est destinée au
spectateur parlant lfune des deux langues. Celle en français précise g
sous-titrée en français h, tandis que lfautre ne le mentionne pas.
Cette formule sfinscrit dfailleurs dans la tradition des revues
cinématographiques suisses. Dans Schweizer Cinéma Suisse, revue bilingue
(français-allemand) ou parfois trilingue (italien),
chaque partie est rédigée séparément dans les différentes langues. Grâce à un
tel caractère de diversité linguistique, il me
semble que les films parlants portant la diversité des langues sont plus
favorablement accueillis en Suisse qufailleurs dans lfexploitation.
Conclusion
Avant lfinstallation du parlant, on ne considérait la diversité des
langues que comme une barrière infranchissable. Pourtant, au fur et à mesure de
lfévolution du parlant, chaque film profite du dialogue parlé et des
diverses langues, voire même des dialectes, afin de
montrer sa singularité. La Suisse donnera naissance à des films multilingues où
chacun parle sa langue, soulignant son identité nationale, marquée par le g multilinguisme h.
Par exemple, dans Al canto del cucú [August
Kern], un
film suisse tourné en 1941, quatre personnages dforigine différente parlent
leurs langues maternelles (lfitalien, lfallemand et le français) entre eux et
se comprennent sans problème. En plus, même la chanson principale du film, g Guggu h, est chantée en trois
langues, tour à tour, en allemand, français et italien dans ce film.
On pourrait opposer à cette version idyllique Rapt (La séparation des
races) [Suisse-France, 1933] de Dimitri Kirsanoff qui montre lfopposition
entre deux vallées, lfune francophone, lfautre germanophone et
lfincompréhension entre les deux.
Avec la
diversité des langues, le film pourra ainsi marquer sa nationalité (chaque
pays), son internationalité (coproduction), son régionalisme (film dialectal)
et son multilinguisme (cinéma suisse).
En plus, afin de montrer le caractère
particulier dfun film, la salle qui le présente peut accorder une grande
importance aux langues dans sa publicité. En 1935,
les salles précisent chaque fois dans quelle langue le film est parlé. On mentionne non seulement g parlant français h
ou g version originale h, mais on ajoute aussi des
indications plus précises, comme g film russe, version originale avec sous-titres
français h, g film parlant anglais avec sous-titres français et allemandsh,
etc. Avec lfinstallation du parlant, la rubrique des films jouit de diverses
indications sur les langues (voir lfAnnexe 2).
Enfin, avec lfévolution du parlant, non seulement le procédé de
présentation se diversifiera, mais aussi chaque salle se spécialisera et se distinguera des autres, grâce à
la diversité des langues.
Note
Version
revue et augmentée de lfarticle en japonais intitulé g Lfexploitation et la
réception des films parlants à Lausanne, ville multilingue h dans ICONICS(Japanese
Journal of Image Arts and Sciences), no. 64 (mai 2000), pp. 37-51.
En ce qui concerne les citations,
je respecte à la lettre le texte original. Pour insister sur lfimportance de certains passages, jfai
souligné des termes et des expressions que je considère comme particulièrement
importants.
À propos des films
cités dans le texte, je mets une note après chaque titre : [titre
original, pays et année de production, nom du metteur en scène], excepté
pour quelques films que je nfai pas réussi à identifier.
[1] Cosandey (1986) p. 264. Roland Cosandey, 1986,
gCinémah, 19-39 La Suisse romande entre les deux guerres, Éditions Payot
Lausanne, pp. 237-266.
[2] gPopulation
résidante selon la langue maternelle et la nationalité, de 1910 à 1980h, Annuaire statistique de la
Suisse 1990, 1989, LfOffice fédéral de la statistique, p. 310.
[3] gPopulation résidante selon la langue maternelle, depuis 1900h, Miroir statistique, Ville de Lausanne 1998, 1999, Office dfétudes socio-économiques et statistiques, p. 184.
[4] n‹17, p. 5.
[5] Marcel Cauvy, n‹3, p. 8.
[6] Cosandey (1986) p. 264.
[7] gLe marché français depuis
1924h, La Cinématographie Française, n‹581, 21 décembre 1929, p. 36.
[8] gMessage du Conseil
fédéral à lfAssemblée fédérale concernant lfinstitution dfune chambre suisse du
cinéma.h, Schweizer Cinéma Suisse, n‹10, octobre 1937, p. 8.
[9] gLe marché français de
1926 à 1935h, La Cinématographie Française, n‹895, 28 décembre 1935, p.
43.
[10] gMessage du Conseil
fédéral à lfAssemblée fédérale concernant lfinstitution dfune chambre suisse du
cinéma.h, Schwer Cinéma Suisse, n‹10, octobre 1937, p. 8.
[11] gLe marché français de
1926 à 1935h, La Cinématographie Française, n‹895, 28 décembre 1935, p.
43.
[12] À propos de la Suisse italienne dfaujourdfhui, la plupart des films sont donnés en version italienne(films italiens ou en version doublée dans la langue de Dante. Pourtant, dfaprès le Corriere del Ticino du 4 juin 1999, sur 38 films, cinq sont présentés en version originale, annoncés comme suit : un film français (sans sous-titres), deux films en anglais sous-titrés français-allemand, un film en espagnol sous-titré français-allemand, et un film en anglais sous-titré en italien.
[13] Jean-Pierre Frouard, p. 625.
[14] n‹11, p. 15.
[15] Les dates dans les deux Annexes correspondent donc à tous les vendredis de chaque année.
[16] gCommuniquésh, Gazette de Lausanne, p. 4.
[17] Ibid.
[18] Marcel Colin-Reval,
gRépartition des 8.548 salles équipées en Europeh, La Cinématographie
Française, n‹647, 28 mars 1931, p. 62.
[19] gRépartition des Salles Européennes en 1934h, La Cinématographie Française, n‹803, 24 mars 1934, p. 45.
[20] France (et Col.).
[21] France et Af. du Nord.
[22] La Tribune de Lausanne, 28 mars 1930, p. 6.
[23] 28 mars 1930, p. 27.
[24] 21 mars 1930, p. 2.
[25] 28 mars 1931, p. 6.
[26] gLes nouveaux films de la semaineh, n‹109, p. 5.
[27] gCommuniquésh, Gazette
de Lausanne.
[28] Par exemple : g Important: Un résumé de lfaction en français, sera projeté sur lfécran h (le 6 mai), g Un résumé en français paraîtra à lfécran à chaque présentation h (les 4 et 25 juillet), g Un résumé de lfaction, en français, paraîtra à lfécran h (le 8 août), g Résumé français à lfécran h (les 8 et 29 août), g avec résumé en français à lfécran h (le 15 août), etc.
[29] gLfécran vous offre cette semaine...h, n‹132, p. 5.
[30] gLfécran vous offre cette semaine...h, n‹99, p. 5.
[31] 16 juin 1930, p. 2.
[32] n‹111, p. 2.
[33] Ibid.
[34] gCommuniquésh, Gazette de Lausanne, p. 4.
[35] Ibid., 7 avril 1933, p. 2.
[36] Ibid., p. 4.
[37] gDfun film ou dfun autreh, Gazette de Lausanne, 30 avril 1934, p. 2.
[38] gCommuniquésh, Gazette de Lausanne, p. 3.
[39] Ibid.
[40] gDevant les filmsh, La
Tribune de Lausanne, 12 août 1931, p. 3.
[41] gDfun film ou dfun autreh, Gazette de Lausanne, gles inconvénients du fâcheux « doublage »h, 29 avril 1935, p. 2.
[42] gCommuniquésh, Gazette de Lausanne, p. 4.
[43] Gazette de Lausanne, p. 5.
[44] gCommuniquésh, Gazette de Lausanne, p. 3.
[45] Ibid., p. 4.
[46] Pierre Autré, gLe marché français en 1935h, La Cinématographie Française, n‹895, 28 décembre 1935, p. 43.
[47] Ibid. p.42.
[48] Ibid. p.43.
[49] Pontier (1995), p. 15.
[50] n‹845, p. 14.
[51] gEn Suisseh, n‹865, p. 21.
[52] gCommuniquésh, Gazette de Lausanne, p. 4.
[53] Ibid., p. 4.
(traduction)
PALACE SONORE
NOUS NOUS DONNONS LA PLUS GRANDE PEINE
pour vous proposer semaine après semaine les meilleurs films parlants de
la production mondiale.
Nous nfavons pas besoin de présenter en grande pompe des films
médiocres, car nous ne passons vraiment que des films allemands reconnus et
dfenvergure. En voici la preuve:
La semaine dernière: Liebe in
Uniform.
Cette semaine: Zwei Glückliche
Herzen.
La semaine prochaine: Strafsache
von Geldern.
Vous verrez aujourdfhui au Palace le plus beau film parlant dfopérette
de lfannée 1933.
Ce film parlant qui respire la joie de vivre raconte les aventures dfun
Américain à Vienne avec un tel panache, une telle gaieté, que le public
enthousiaste en reste bouche bée.
Réservez vos places grâce à la prélocation!
[54] Ibid., p. 2.
[55] Ibid., p. 4.